Au musée Guimet, l’Asie est désormais au rendez-vous. Ce n’est pas une Asie érudite d’orientalistes qui, depuis la création du musée, en 1889, avait été reléguée dans un labyrinthe de salles obscures, mais une Asie vivante de la vie des dieux, des bouddhas, des légendes et des mythes.
Signe de ce renouveau, le grand Naga à sept têtes qui, au seuil du musée, accueille le visiteur – et ne le quitte plus. Car toutes les salles du rez-de-chaussée regardent vers lui et lorsqu’on monte ou qu’on descend les escaliers intérieurs accédant aux galeries supérieures, on ne cesse d’apercevoir le grand Naga sous des angles neufs, plongeants, qui nous le font découvrir de dos, de profil, de trois-quarts…, sans que nous nous lassions.
Ce Naga de grès colossal, de 4m25 de hauteur, pesant onze tonnes, constitue la partie avant de « la chaussée des Géants », la balustrade de l’allée est du Preah khan d’Angkor. Ses trente-et-un blocs avaient été démontés et prélevés à leur site d’origine par Louis Delaporte, puis remontés pour l’Exposition universelle de 1878. Ils reposaient depuis en blocs de pierre détachés au fonds des réserves du musée. Dans la scénographie réinventée du musée Guimet, le Naga monumental occupe désormais la première place.
Dans cette œuvre, la plastique khmère exprime toute la puissance du dieu cobra à sept têtes redressées, suivant la dynamique ascensionnelle d’une courbe magistralement déployée. Accompagné de deva, le Naga nous emmène au cœur de l’imaginaire d’Asie où il incarne le gardien des trésors des mondes tant matériels que spirituels.
Au musée Guimet, les premiers trésors que l’on aperçoit, dans le sillage du grand Naga, sont une assemblée de statues et des visages qui font face au visiteur dans la salle d’entrée, réservée à l’art khmer. Les œuvres, taillées dans le grès, sont baignées d’une lumière zénithale qui fait ressortir chaque relief, chaque inflexion ménagée par le sculpteur dans la pierre.
Dans le parcours de toutes les autres salles de l’Asie du Sud-Est, les objets sont rattachés à un ensemble complexe de cultures variées où domine pourtant une esthétique homogène, à la spécificité bien marquée. Shiva ne diffère pas de Brahma, ni Brahma khmer de Bouddha thaï ou vietnamien, par les traits du visage, empreints de sérénité, ou par l’attitude toute hiératique. Ils différent par les détails des attributs, de la coiffure, du vêtement. Cette unité esthétique dans la diversité culturelle de l’Asie du Sud-Est reflète le rayonnement de l’influence indienne.
Dès les premiers siècles de notre ère en effet, l’Inde a diffusé en direction de l’Indonésie, du Cambodge, du Vietnam, du Laos ou de la Birmanie, la pensée religieuse, bouddhiste et brahmanique du subcontinent. Les textes sacrés, comme le Ramayana ou le Mahabharata ont été transmis en sankrit et ils forment la trame de l’art de ces contrées.
Les dieux de l’art khmer représentent le noyau de la collection du musée Guimet dont les œuvres sont parmi les plus belles hors du Cambodge. Elles dressent un panorama exhaustif de l’histoire de l’art dans l’ancien pays khmer. Les écoles d’art thaï lui sont étroitement apparentées, avec toutefois la marque du renouveau suscité par l’inspiration bouddhiste, prise aux sources religieuses du Véhicule des Anciens.
Les arts du Vietnam sont un pôle majeur des collections du musée avec, notamment, de sublimes Avalokiteshvara, bodhisattva de la compassion, à un ou à plusieurs bras, sculptés dans la pierre ou le bois. Et les œuvres de l’ancien Champa constituent la collection de sculptures et d’éléments de décor architectural la plus représentative au monde, en dehors du Vietnam.
Autre exemple de l’expansion des formes et de l’imaginaire de l’Inde, les chefs d’œuvre de l’art birman de Pagan et les bronzes de Java.
A l’Inde, matrice féconde de l’imaginaire d’Asie du Sud-Est, est réservée une section habitée de sculptures en pierre ou en bronze. Les principaux aspects de la statuaire indienne, d’inspiration bouddhiste ou jaïna, sont représentés dans la grâce des œuvres kouchanes provenant des sites de Mathura et d’Amaravati ; dans l’harmonie parfaite de la plastique gupta, dans les images médiévales des dieux et déesses du Madhya Pradesh et du Rajasthan ; dans les divinités des époques chola ou hosyala.
Nous suivons au premier étage les routes de la soie, dont l’itinéraire nous fait traverser la Chine, tout en voyageant dans le temps. De l’époque des céramiques remontant au V° millénaire avant notre ère, à l’époque des porcelaines de l’époque Tang, avec par exemple La verseuse à décor de pivoine, chef d’œuvre du grand classicisme chinois.
L’Asie centrale, qualifiée de Sérinde en termes de géographie culturelle, est profondément marquée du rayonnement du bouddhisme comme l’illustre une sélection de peintures murales, de sculptures ou d’objets cultuels.
Enfin, l’art himalayen de Haute Asie, Népal et Tibet, est largement représenté dans une série d’œuvres métalliques, utilisant le cuivre doré incrusté de pierres semi-précieuses. La section tibétaine a bénéficié de l’exceptionnelle donation de Lionel Fournier en peintures portatives, thangka, sculptures et objets rituels, ainsi que des dons de voyageurs français qui, comme le tibétologue Jacques Bacot, se rendirent au Tibet au début du siècle.
Et l’on conclut la visite du premier étage selon la filiation des images qui permet de suivre l’aboutissement du bouddhisme sinisé parvenant en Corée, puis au Japon où, dès l’an mille, il s’est largement répandu dans toutes les couches de la population. Un grand Bouddha Amida en bois laqué est le témoin de cette extension du panthéon bouddhique sans frontières. Tout comme, sur la route du Japon, un Avalokiteshvara sous la lune, de l’époque Koryo, ou encore un Maitreya méditant, datant l’un et l’autre des Trois Royaumes (I° et VII° siècles).
L’originalité et la diversité des styles que révèle la visite du musée Guimet le cède au sentiment d’unité profonde qu’expriment ces arts de toute l’Asie, traversée par l’inspiration d’une esthétique et d’un imaginaire communs dont l’Inde fut la source. Le rayonnement du bouddhisme est sans doute un facteur de cette cohérence puisqu’elle est une constante dans toutes les cultures représentées.
Le symbole le plus marquant de cette prégnance du monde indien n’est-il pas le grand Naga, avec lequel nous avons commencé, puis continué et enfin achevé notre parcours ? Symbole, ou peut-être secret, que ne révèle aucune des sept bouches pétrifiées du monumental dieu cobra.
Rencontres
avec sept bodhisattva du musée Guimet
1. Bodhisattva debout
Pakistan, art du Gandhara, époque Kouchane, I-III° siècle, schiste
2. Bodhisattva méditant
Corée, époque des Trois Royaumes, VI° siècle, bronze doré
3. Bodhisattva Avalokiteshvara
Vietnam, art khmer préangkorien, style du Phnom Da, VII° siècle, grès
4. Bodhisattva Avalokiteshvara
Indonésie, époque de Java Centre, VIII°- IX° siècles, bronze
5. Bodhisattva Vajrapani
Tibet occidental, XI°- XII° siècles, laiton incrusté avec traces de polychromie
6. Tara, bodhisattva féminin, agenouillée
Cambodge, province de Siemreap, style du Bayon, époque angkorienne, XII°- XIII° siècles, grès
7. Bodhisattva Avalokiteshvara
Vietnam, région de Hanoï, XVII°siècle, bois laqué polychrome et doré
Musée national des Arts asiatiques Guimet
6 place d’Iéna 75116 Paris
tel : 01 56 52 53 00
www.museeguimet.fr
OUVERTURE AU PUBLIC le 20 janvier 2001
musée ouvert tous les jours de 10 heures à 18 heures, sauf le mardi
billet valable toute la journée, donnant accès :
aux collections permanentes du musée
à un commentaire par audioguide des collections permanentes (8 langues)
aux Galeries du Panthéon Bouddhique 19 avenue d’Iéna 75116 Paris
tarifs :
plein tarif 35 F
tarif réduit 23 F de 18 à 25 ans
gratuité pour les moins de 18 ans et pour tous le 1° dimanche de chaque mois
accès
métro : Iéna, Boissière, RER C Pont de l’Alma
bus : 22 30 32 63 82
Janvier 2001